Le Devoir, mardi 11 décembre, p. B7
Les pieds dans la décharge
Stéphane Baillargeon
L'environnement est un des sujets pauvres des médias québécois, bien plus intéressés par les faits divers, les nouvelles locales et le sport. D'où la bonne nouvelle du recyclage du sujet par Télé-Québec, qui proposera en janvier une émission pédago-ludique intitulée Les verts contre-attaquent. Le format d'une demi-heure permet de développer un dossier par semaine tout en y insérant des capsules sur d'autres thèmes. Le premier épisode propose un inquiétant " Tour brun " dans la région métropolitaine, sur le modèle des découvertes touristiques en autocar. Les participants passent du canal de Lachine aux lagunes de Mercier d'où ils rapportent des échantillons souvenirs de boue toxique et de lixiviat puant, du jus de poubelle quoi. L'âge industriel a laissé 20 000 sites à décontaminer au pays, dont 11 jugés " prioritaires " à Montréal.
" Pour nous, c'est de la sensibilisation qui utilise le divertissement informatif, explique Frédéric Choinière, coidéateur et coanimateur de la série. Nous nous préparons depuis des années pour réaliser ce projet qui est un peu la représentation télévisuelle de notre propre démarche pour rendre notre vie plus verte. "
Ce " nous " inclut son bon ami Jean-Sébastien Busque, lui-même du trio des émissions humoristiques radio-canadiennes Le monde en gros et Les pieds dans la marge. Il y a beaucoup de ces modèles dans Les verts contre-attaquent, avec la même façon ludique d'aborder des problèmes en mettant les animateurs aux commandes des expériences, les pieds dans la décharge quoi.
Au quatrième épisode, les deux sérieux rigolos relèvent un défi toxique. Ils campent entre les bretelles des autoroutes 40 et Décarie, s'aspergent de chasse-moustique, mangent du steak et des guimauves calcinés pour ensuite passer au test d'urine. Le résultat est franchement étonnant. D'autres dossiers porteront sur l'énergie, le transport ou l'alimentation. Rendus là, les Verts serviront un repas complet à partir de produits ramassés dans les poubelles de commerces d'alimentation.
Et quoi encore ? Des vedettes (il en faut partout maintenant) passent à l'éco-confessionnal pour avouer un péché environnemental. Le comédien Emmanuel Bilodeau, toujours à vélo, même l'hiver, avoue sa passion pour les très gros " chars ". L'animateur Jean-Philippe Wauthier monomaniaque des bains et douches confie avoir besoin de deux chauffe-eau.
L'émission semble un peu manquer de perspectives sociopolitiques pour se concentrer sur les choix individuels. On verra bien à l'usage si ce travers se confirme. La diffusion des Verts contre-attaquent débutera le 8 janvier.
Le Devoir, lundi 10 décembre, p. A7
Questions d'images - La fin du monde
Jean-Jacques Stréliski
Et si les Incas avaient vu juste ? Le 21 décembre, pouf ! La balloune éclate. Plus personne le 22 pour ramasser cette microscopique ordure terrienne, sinon la Voie lactée qui engloutit le tout, tel un aspirateur à astres défunts, en une fraction d'année-lumière. Le soleil de son côté n'a rien vu. De toute façon, il n'a jamais rien su de ce calendrier qu'on appelait solaire ou encore des Incas, ni de ceux qui les ont massacrés, ou encore de tous les autres qui, chaque jour, se sont depuis chauffés à ses doux rayons ! Son agenda est rempli de rendez-vous autrement plus importants que les funérailles d'une planète droguée, souillée et condamnée qui, tôt ou tard, aurait fini par périr de son cancer humain. Rien, plus rien. Plus de Sartre, plus de Nietzsche. Plus de Dieu ou de dieux non plus. La paix. La vie sidérale reprenant son cours pénard dans l'immensité de son silence. Plus rien dans l'univers qui soit perceptible par une autre forme de vie. Seulement une multitude de choses qui continuent à tourner rond dans l'ordre et l'environnement naturel des choses.
Environnement, avez-vous dit ? Une vue de l'esprit ? Une idée pour laquelle, avant le 21 décembre, on avait nommé dans chaque pays de la Terre, un ministre spécialement voué à ne pas s'en occuper. Pour laisser aller la planète à son sempiternel pillage et à la contamination délétère de son atmosphère. Pour rationaliser et justifier l'exploitation pétrolière et minière. Pour laisser creuser la Terre comme un ballon d'emmenthal, en sachant pertinemment qu'un jour, il faudra laisser à notre descendance beaucoup plus de trous que de fromage. Pour justifier une production infernale et une spéculation boursière sur tout ce qui s'exploite au mépris de l'existence même d'une majeure partie de l'humanité. Apathie à l'Environnement
Les producteurs de cigarettes savaient dès 1960 le dégât que causait le tabagisme sur la santé humaine. Désormais, plus de 40 ans plus tard, ils sont condamnés de tous bords tous côtés, à payer des milliards de dollars pour les torts irréparables dont ils sont responsables.
Sur le même modèle, nous savons quel désastre va créer l'exploitation à outrance de toutes nos ressources, gaz de schiste et sables bitumineux en tête. Le Canada ruine sa réputation et sa crédibilité sur ses politiques environnementales, mais, heureusement, nous avons un ministre de l'Environnement.
Chez nous, au Québec, on se chicane pour les nommer et surtout pour les destituer. Pour faire virer les plus musclés d'entre eux, ceux qui prennent leur rôle au sérieux et qui grondent, menacent et tempêtent.
La démission de Daniel Breton est scandaleuse. La pitoyable curée dont il a été victime, dans le spectacle de l'hypocrite médiocrité politique, faisait peine à voir. Accusé d'avoir jadis volé des pommes dans le verger des nantis. Accusé d'avoir monté le ton contre ceux qui l'irritent.
Aujourd'hui, on exige des pauvres qu'ils soient vertueux et on tolère des riches qu'ils soient pourris. Mais dans quelle société vivons-nous ?
Ordure en héritage
Le 22 décembre, le sidéral " pouf " n'aura pas lieu. Pauvres Incas. Et, quelques jours plus tard, ce sera Noël et les célébrations de fin d'année. Les ministres de l'Environnement, comme tous ceux et celles qui les nomment iront passer les fêtes dans leur famille pour se réjouir à leur tour. Parents ou grands-parents, ils s'émouvront devant les yeux émerveillés de ces petits enfants déballant leurs cadeaux. Puissent-ils alors à ce moment précis procéder à un arrêt sur image. Et graver cet instantané à jamais dans leur mémoire ; c'est joli et bucolique, et ça leur permettrait de penser à cette image d'espoir et d'avenir, lors de prochaines négociations tendues à propos d'enjeux environnementaux majeurs.
Puissent-ils également fixer cette autre image, en pensant à la tête de ces mêmes enfants, découvrant avec stupeur dans une boîte cadeau, un échantillon de cette ordure planétaire que nous allons leur laisser. De la boue schisteuse, du sable visqueux, un oiseau mazouté, quelques morceaux d'écorce d'une espèce d'arbre disparue, etc.
Cette image peut vous paraître choquante, mais, hélas, c'est exactement ce que nous sommes en train d'offrir à nos enfants et petits-enfants pour le siècle à venir.
Dans l'immensité de l'univers, nous ne sommes pas grand-chose, bien entendu. Est-ce la raison pour laquelle nous nous évertuons à ne rien laisser en héritage ?
Ce n'est pourtant pas la fin du monde que de comprendre cela.
*** Jean-Jacques Stréliski est professeur associé à HEC Montréal, spécialiste en stratégie de l'image.